Svetlanov, le pianiste. Les premières années (2/3)

MEMOIRES (2/3)

Svetlanov, le pianiste. Les premières années
Par Nina Moznaïm Svetlanova

Svetlanov possédait des mains étonnantes, particulièrement bien adaptées au jeu pianistique. Elle n’étaient pas très grandes, mais solides, similaires à celles d’Emil Gilels. Les principales caractéristiques de son jeu étaient l’efficacité et l’économie rigoureuse du geste. Chaque mouvement était conçu pour exprimer une idée musicale.

Sur les conseils de Mme Gurvich, Svetlanov prit des leçons régulièrement pendant deux mois avec un professeur qui avait la réputation de développer la technique du jeu pianistique. Malheureusement, j’ai oublié son nom. Ce professeur lui donna des exercices qui développèrent de manière miraculeuse sa technique pianistique. Svetlanov a retenu cette technique pour toujours ; parfois il lui arrivait de ne pas toucher au piano pendant des mois, mais après avoir joué ces exercices pendant deux jours il reprenait possession de sa technique avec encore plus de maîtrise qu’auparavant.

J’ai toujours observé ces études et je me souviens parfaitement de ces exercices, mais j’ignorais alors qui en était le compositeur et ce n’est qu’après que je découvris qu’il s’agissait de Carl Tausig.

Toutefois l’essentiel n’était pas ce que jouait Svetlanov mais la manière dont il le jouait. Il jouait presque sans lever les doigts, en exprimant le phrasé musical et non la construction pianistique. Le lien entre sa maîtrise cérébrale et la traduction de celle-ci au clavier était presque idéale. Svetlanov a toujours eu une idée très claire de la SONORITE à reproduire dans une œuvre donnée.

Je me souviens d’un incident intéressant qui s’est produit lors d’un de ses passages à New York. J’avais décidé de lui présenter un de mes élèves les plus brillants, qui jouait la Deuxième Sonate de Rachmaninov. Le jeune pianiste avait déjà réalisé un beau parcours et il en fit une brillante exécution. Je m’attendais à ce que Svetlanov s’exclamât : « Comme c’est beau, comme c’est magnifique ! » En fait il déclara que cela était très mauvais, que tout était faux et qu’une telle musique n’existait tout simplement pas. Cette dernière remarque concernait l’édition par Horowitz, qu’il rejeta totalement, en déclarant qu’elle était superflue, pauvre etc. Mais surtout il s’assit lui-même au piano. Il joua des fragments du premier mouvement, le début du second, et quelques autres fragments. Son jeu, même après l’interprétation d’un jeune musicien particulièrement doué, était totalement convaincant. Il était très riche en images et en relief ; la qualité du son, sa beauté, sa plénitude, son ampleur, le souffle qu’il imprimait – tout était absolument inoubliable.

Svetlanov était également fasciné par l’opéra. Cela commença lorsqu’il avait 13 ou 14 ans, ou même avant, car Svetlanov avait presque grandi au Théâtre Bolchoï. Il fit ses propres débuts à l’opéra à l’âge de trois ans, lorsqu’il apparut sur scène dans le rôle du fils de Cio-Cio San dans « Madame Butterfly » de Puccini. A l’âge d’environ 16 ans, nous allions très souvent au studio de l’opéra du conservatoire de Moscou, un magnifique petit théâtre sur la rue Vakhtangov où les représentations étaient données par les étudiants du Conservatoire. Ils chantaient avec une réelle passion et avec beaucoup d’expression. Notre groupe d’amis, composé de deux garçons et de deux filles, assistait à chacune des représentations. Svetlanov était alors fasciné par les opéras de Rimski-Korsakov. Parmi les opéras qui y furent produits figuraient « Snegourotchka » et « La Fiancée du tsar ». De nombreuses années plus tard Svetlanov me dit que ses opéras préférés étaient « Snegourotchka » et, bien sûr, « La Pskovitaine » , qu’il avait choisi pour réaliser ses débuts au Bolchoï et qui devait d’ailleurs être sa dernière production au Théâtre Bolchoï. J’évoque l’opéra parce que celui-ci était très étroitement associé à la très grande maîtrise pianistique de Svetlanov. Je n’oublierai jamais comment il jouait les opéras au piano et chantait tous les rôles lui-même et il avait une voix si expressive. Son exécution était si brillante qu’il n’était même pas nécessaire de se rendre au théâtre.