23 novembre 2018

Moscou, carnet de voyage : de Tchaïkovsky à Scriabine dans les dorures du XIXe siècle

Nous proposons à votre attention quelque extraits de l’article de Bertrand Renard qui partage ses impressions du premier jour du Festival « Univers – Svetlanov ! » à Moscou.

C’était, le week-end dernier, la poursuite de l’hommage au grand chef d’orchestre et compositeur Evgeny Svetlanov mais cette fois dans sa ville natale, Moscou. Et dans un des lieux les plus prestigieux de la capitale russe, le Conservatoire Tchaïkovsky, où Svetlanov, comme tant d’autres, fut élève; sauf que peu y ont leur statue. Lui l’a.

Le légendaire conservatoire Tchaïkovsky

Un rêve pour tout mélomane, comme la Philharmonie de Berlin, la Scala de Milan, Carnegie Hall. Même si le bâtiment, à dix minutes du Kremlin, est extérieurement bien trop massif, quand on en franchit les portes de bois, c’est comme si on entrait dans un vieux théâtre parisien chargé de mémoire…

Et voici la salle: très grande, avec un balcon d’où l’on voit de partout, des fenêtres hautes comme dans les églises gothiques. Les murs sont vert tilleul, ponctués de colonnes crémeuses en faux-relief, et le plafond est blanc. Des compositeurs nous accueillent, ce ne sont pas des statues mais de grandes peintures en médaillon, sur fond vert, sous les fenêtres. A jardin Anton Rubinstein, le grand pianiste. Et puis Chopin, Schubert, Schumann, Moussorgsky, Beethoven, Tchaïkovsky. A cour Borodine, Wagner, Rimsky-Korsakov, Bach, Dargomijsky, Mozart et Glinka. Les grands russes (même si certains sont moins connus de nous) et les grands… Occidentaux. Avec quelques oublis. Deux ont été rattrapés au vol, sur le mur à droite de l’entrée: Mendelssohn et Haydn. Manquent Haendel, Rossini, Berlioz…

S’asseoir là, dans ce lieu si plein de musique! Et que l’on a détaillé dans des documents en noir et blanc où jouaient tant de légendes…

(Et surtout, le lendemain soir, trouver complètement normal d’y être)…

Une petite fille blonde fait la chef d’orchestre

Et s’asseoir au milieu d’une société de mélomanes beaucoup plus mélangée que chez nous. Il est onze heures du matin, et c’est un horaire inhabituel pour les Russes. Mais la salle est très largement emplie, beaucoup de dames, et aussi des enfants: j’en compte dix autour de moi. A ma gauche la petite fille aux rubans roses sur sa tresse blonde est venue avec ses parents; elle ne cessera de battre la mesure comme une vraie chef d’orchestre. Derrière le bobo, un homme brun en survêtement qui accompagne ses deux enfants ne cesse de consulter son téléphone. Il a pourtant la chance d’entendre le piano d’Andreï Korobeinikov, le violon de Vadim Repine et le violoncelle d’Alexandre Kniazev dans le « Trio » de Tchaïkovski. 

C’étaient des artistes qu’aimait Svetlanov. C’est surtout, dans la complicité qui les unit à jouer ce vaste chef-d’oeuvre (50 minutes), une introduction profondément émouvante. Car dans un médaillon au-dessus du mur de scène apparaît le visage sculpté de Nikolaï Rubinstein, le fondateur du Conservatoire (en 1866), l’ami (l’amant, dit-on) de Tchaïkovsky. Et Tchaïkovsky, de son médaillon à lui, regarde dans sa direction, lui qui composa son « Trio » en mémoire émue de son ami Nikolaï, mort trop tôt.

Trio Vadim Repin, Andrei Korobeinikov, Alexander Kniazev

Je cherche la salle Maly et qui était ce Maly. Je finirais par comprendre que Maly signifie « petit ». C’est donc la « petite salle »… sauf qu’elle est plus grande que la salle Rachmaninov. Le magnifique « théâtre Maly », à la façade jaune et blanche, est, lui, en face du Bolchoï. La salle Maly du conservatoire a une atmosphère « vieille Russie » avec ses fauteuils de bois brun: on se croirait inviter à prendre le thé chez Tchékhov… n’était, en fond de scène, un orgue à la forme « constructiviste » (le cubisme russe).

Je vais alors entendre le plus beau concert de la série, celui du choeur Alexandre Yourlov dirigé par son chef actuel Guennadi Dmitriak. On ne l’entend pas assez en France, ce choeur, appelé Glinka à sa création en 1919 puis « Académique de l’U.R.S.S. » puis Yourlov, le nom de son ancien chef disparu en 1973 à 45 ans. Svetlanov a dédié des choeurs à sa mémoire: basses admirables, ténors superbes et surtout les voix féminines magnifiques de fondu (certaines, dans des solos, ont des timbres de… grandes solistes!)

Les voix de l’âme russe

L’essentiel de leur récital est consacré à Georgui Sviridov qui était connu surtout à l’époque soviétique pour sa musique chorale. Un astéroïde porte aussi son nom. Ce sont, sur des poèmes de grands auteurs, Essenine ou Pouchkine, des choeurs qui disent l’âme russe, sa nostalgie, l’atmosphère de fin d’été mélancolique de la campagne ou des steppes enneigées, comme dans cette « Guirlande de Pouchkine » (« Matin d’hiver », « Natacha », « Corneille martelée » où une soprano en fond de salle chante l’écho d’un coucou ou d’un corbeau) On se croirait dans l’atmosphère « Vieille France » d’un Poulenc ou d’un Ibert, en bien plus fort. Ces chanteurs, ce choeur, sont d’une puissance et d’une poésie à vous fendre l’âme.

The Alexander Yurlov Russian State Capella

C’est l’orchestre de Svetlanov

Retour dans la grande salle du Conservatoire. Il n’y a pas d’ouvreuse (et les vestiaires sont gratuits) mais chacun trouve sa place sans bousculade. Des vieilles dames, souvent modestes, essaient de se rapprocher. Ce peuple, toutes générations confondues, me semble aussi musicien que le peuple allemand, souvenirs peut-être aussi d’une époque où la musique classique, comme le théâtre, était un des rares divertissements très accessibles dans une Moscou qui en manquait cruellement.

Et la qualité d’attention est remarquable (aucune de ces toux intempestives et démultipliées que j’ai réentendues à Paris trois jours plus tard), même dans ce « Poème pour violon et orchestre » que j’avais entendu à Paris (par Repine) et que Dimitri Makhtin joue avec beaucoup de goût: c’est de l’honnête musique de film. L’orchestre s’appelait « Orchestre de l’U.R.S.S. » puis « de la fédération de Russie », les Russes l’appellent plutôt désormais « Orchestre Svetlanov », Svetlanov qui l’a dirigé pendant 35 ans…

Dmitri Makhtin – violin
Lio Kuokman – conductor
The Evgeny Svetlanov State National Symphonic Orchestra of Russia
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